Cuivre, de l’inflation à la pénurie ?

Aux sources de l’inflation

Les réserves de cuivre se raréfient et la consommation augmente sous la pression de l’électrification des véhicules et du déploiement des énergies renouvelables. Quelles solutions de substitution pour limiter l’impact économique de l’inflation des câbles d’énergie et de données dans le secteur de la construction tertiaire ? La fibre optique et le Power over Ethernet pourraient-ils permettre à la filière d’économiser de manière très substantiel ce métal critique pour la transition énergétique ?

La principale cause de l’inflation du cuivre est liée à l’augmentation de son utilisation dans un contexte où la production peine à mettre à disposition des tonnages additionnels.  Actuellement, cette demande supplémentaire est clairement tirée par la construction des infrastructures en Chine, demande à laquelle viendra à l’avenir se greffer les besoins de l’Inde et de l’Afrique dont le boom des infrastructures n’est pas encore réellement entamé.

D’ici 2030, cette demande va fortement s’accroître en raison de l’électrification de la mobilité et du développement des énergies renouvelables1. Ce mouvement général vers l’électrification représente une grande partie des programmes gouvernementaux visant à atteindre les objectifs du zéro émission net carbone2. Selon Goldman Sachs, ces nouveaux marchés qui représentent actuellement 4% des besoins en cuivre devrait peser 17% de la demande d’ici sept ans.

La consommation mondiale annuelle devrait donc passer de 24 à 30 millions de tonnes pour la décennie à venir que certains nomment déjà les « 10 glorieuses de l'électrification ». Il s’agit d’un alignement historique de la demande des pays aux économies émergentes et d’une demande accrue des pays industrialisés.

1https://www.cnbc.com/2022/07/14/copper-is-key-to-electric-vehicles-wind-and-solar-power-were-short-supply.html
2https://www.bloomberg.com/news/features/2023-05-02/copper-faces-troubled-future-as-renewable-energy-causes-demand-to-surge#xj4y7vzkg

 

Minerais de cuivre

 

Ce cumul de la demande est en totale inadéquation avec une offre toujours plus limitée. Seules deux grandes mines de cuivre ont été mises en service ces cinq dernières années et très rare sont les mines dont la production augmente. La teneur en cuivre dans les minerais s’étant érodée en moins d’un siècle de 3% à moins de 1 % au début du vingtième siècle. Si des veines de minerais inexploitées sont clairement identifiées, au Congo et en Zambie par exemple, le financement de leur exploitation nécessitera près de dix ans de mise en œuvre avant de participer à l’approvisionnement mondial. 

 

En outre, ces projets se heurtent désormais à d’importants mouvements citoyens en raison des nombreuses externalités négatives de la production minière (épuisement des réserves d’eau, stockage des boues…). Par ailleurs, les exportations vers les pays développant une transition énergétique se tarissent car la Chine, troisième producteur mondial3 destine désormais ses réserves à son marché intérieur.

Sans nouvelles capacités disponibles pour les marchés occidentaux, avec baisse constante de la productivité des mines actuelles, la tension sur les prix est inéluctable pour la décennie à venir.

Les projections des analystes spécialisés sont toutes cohérentes en termes d’évolution des cours. La hausse est inéluctable. Il s’agit de comprendre à quel horizon de temps elle va se produire. Marex4 table sur une hausse du cours de 8 000€ à plus de 13 000 € la tonne. Goldman Sachs prévoit une tonne à 12 000 € dès 20245 tandis que d’autres annoncent un pic à 15 000 € avant 2030, soit près du double du cours du moyen de 2022.

3https://www.bloomberg.com/news/features/2023-05-02/copper-faces-troubled-future-as-renewable-energy-causes-demand-to-surge#xj4y7vzkg
4https://investingnews.com/daily/resource-investing/base-metals-investing/copper-investing/copper-production-country/
5https://www.wsj.com/articles/copper-shortage-threatens-green-transition-620df1e5

Economie circulaire, le recyclage pour faire face à l’augmentation de la consommation ?

Le cuivre est recyclé de longue date et dans toutes les régions du monde. Dans bon nombre de pays son recyclage passe par des filières parfois très peu structurées liées à l’économie informelle. En France, la nouvelle Responsabilité Elargie du Producteur étendue aux Produits et Matériaux de Construction du Bâtiment (REP PMCB6) va accroître le tonnage de cuivre disponible pour le recyclage. Si la mise en place de la filière d’économie circulaire se développe à l’échelle européenne notamment, l’augmentation du taux de recyclabilité sera notablement insuffisante pour couvrir l'augmentation des usages car ce métal est déjà recyclé à plus de 80% au niveau mondial et ne représente que moins de 30% de la consommation.

Moins de 9 millions de tonnes de cuivre sont réintégrés dans les flux de fonderie qui alimentent la fabrication de câbles sur près de 13 millions de tonnes collectées. L'amélioration des processus de purification du cuivre recyclé est donc un enjeu fort en matière de R&D afin de combler une partie significative de l’écart entre la demande et la production.

Une seconde difficulté est à prendre en compte. Pour certains usages, le cuivre recyclé ne présente pas les caractéristiques physiques nécessaire. C’est notamment le cas pour les câbles réseaux à paire torsadée utilisés dans les réseaux informatiques. Les fréquences de transmission pour atteindre les débits demandés par les immeubles de bureaux sont incompatibles avec l’utilisation d’un cuivre intégrant plus de 2 à 4% de cuivre recyclé. Pour des câbles supportant un trafic de 1 à 10 gigabits, les conducteurs nécessitent un état de surface atteignable, avec les techniques de recyclage actuelles, avec des fils de cuivre tréfilé à partir de cuivre provenant essentiellement d’une première extraction.  Pour les câbles d’énergie utilisés dans le tertiaire, ce taux de cuivre recyclé est susceptible d’être bien supérieur. 

6https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/biens-d-equipement-btp-immobilier/reprise-des-dechets-du-batiment-tout-est-presque-pret-959711.html

Recyclage du cuivre

Des technologies de substitution pour limiter notre dépendance ?

Certains secteurs d’activité ont déjà largement opté pour des changements. C’est le cas du secteur de la plomberie qui a massivement adopté les tubes en PER au détriment des tubes en cuivre. A moyen terme, les fils à base de nanotubes de carbone ou de graphène remplaceront possiblement ce métal dans l'industrie spatiale où il représente jusqu’à un tiers du poids des satellites ou de l'aéronautique ainsi que dans l’industrie électronique.

En fonction du coût de l’énergie électrique dans les années à venir, l’aluminium pourrait aussi devenir un conducteur plus économique pour certaines applications de transport d’énergie. Cependant, son adoption semble difficile, voire impossible à réaliser dans d’autres secteurs comme l’éolien où le bobinage en cuivre représente le meilleur compromis pour optimiser le rendement des éoliennes tout en les maintenant à un coût de fabrication acceptable.  

Mais l'impact de ces substitutions sur les quantités disponibles pour le marché sera relativement faible et il est nécessaire de constater qu’il y a peu d'alternative pour la grande majorité de ses applications

Un impact significatif pour le secteur de la construction tertiaire

En 2022, le surcoût pour le tertiaire de la pénurie de matières premières était de l’ordre de 5 à 7 %, tiré notamment, d’après la Fédération Français du Bâtiment7 , par les produits contenant de l’acier et du cuivre dont la hausse était de l’ordre de 30 à 50%.  A l’inflation des matières premières8 et des coûts de transports et d’énergie, s’ajoutent de nouvelles contraintes réglementaires. En particulier, la Réglementation Environnementale 2020 (RE2020) qui devrait entraîner un surcoût aux alentours de 3% ainsi que la Responsabilité Elargie du Producteur aux Produits et Matériaux du Bâtiment visant à financer des nouvelles filières d’économies circulaire et renchérira à partir de 2023 le prix de la construction de 3 à 5%.  L’inflation des matériaux, actuelle et à venir, cumulée à l’impact des nouvelles contraintes réglementaires, vont fragiliser les filières impliquées dans la construction d’immeubles de bureaux.

Pour les constructeurs de câbles d’énergie et de câbles de données, il devient clé de proposer des solutions pouvant contribuer à la réduction des volumes de cuivre utilisés dans le tertiaire et de participer à la baisse des coûts de déploiement des réseaux privés.

7https://www.wsj.com/articles/copper-shortage-threatens-green-transition-620df1e5
8https://www.ffbatiment.fr/actualites-batiment/actualite/envolee-prix-materiauxv15

Quelles offres de substitution pour les réseaux informatiques et électriques ?

Si le recyclage du cuivre contribue quelque peu à minimiser l’inflation du cuivre, il n’a pas d’impact sur le cuivre des câbles de données dont les paires torsadées nécessitent aujourd’hui à plus de 95% une qualité de cuivre obtenue uniquement lors de la première extraction du minerai. Sans cette qualité de cuivre, les débits actuellement demandés dans le tertiaire ne sont pas atteignables et il faudrait se limiter à 100 Mbps en Ethernet. Une autre approche consiste à sortir de la normalisation et à limiter les la longueur des liaisons à 60 mètres. Des fils avec une jauge plus petite sont alors utilisables, permettant d’économiser 40% de cuivre en réduisant les longueurs de 30%.

Pour réduire l’impact du cuivre, le premier levier d’action consiste à basculer en optique les réseaux de données. Plusieurs architectures sont possibles, notamment les FTTO ou le Passive Optical Lan, permettant d’amener à isocoût des fibres optiques jusqu’aux postes de travail. Ces architectures apportent par ailleurs de nombreux bénéfices en termes d’évolutivité, de sécurité ou encore en termes de réduction de la surface des locaux techniques. Suivant la configuration des locaux, ce passage à l’optique des réseaux IT permet d’économiser de 15 à 20% du cuivre déployé dans le tertiaire au titre des réseaux de données et des réseaux d’énergie.

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Le second levier d’action impose le remplacement des câbles d’énergie alimentant l’éclairage et la Gestion du Technique du Bâtiment (GTB). La baisse des consommations de l’éclairage lié au déploiement des LED, combiné à l’augmentation de la puissance disponible sur des câbles de données avec la normalisation du Power over Ethernet (PoE) permet d’alimenter en énergie l’essentiel des sources lumineuses mais aussi des équipements CVC ainsi que le pilotage des stores. Avec près de 100 Watts de budget, il est possible de chainer jusqu’à trois dalles LED et de mutualiser sur un câble Lan à paires torsadées l’alimentation en énergie et le pilotage de l’éclairage.

 

Là encore, de nombreux bénéfices connexes sont accessibles à isocoût de déploiement, tel que l’a démontré l’étude réalisée par le bureau d’étude EGIS pour le SYCABEL, le syndicat professionnel des fabricants de fils et de câbles électriques et de communication. (Livres blancs Le PoE et ses applications et Le PoE appliqué à la gestion technique des bâtiments).

La mise en œuvre de ces deux leviers permet de réduire respectivement de 98% la part de cuivre dans les réseaux de données et, selon l’étude indépendante menée par EGIS, de 50% la part cuivre du raccordement de l’éclairage et de la GTB.   Au total, c’est une réduction de près de 40% du cuivre déployé pour les réseaux énergie et de données qui est envisageable en déployant l’optique et le Power over Ethernet. Ces deux approches participent par ailleurs à la baisse des coûts. Elles permettent en outre d’apporter plus de services et de durabilité aux immeubles de bureaux.

Demain, d’autres technologies pourront permettre de réduire encore d’avantage l’impact du cuivre dans les réseaux. ACOME collabore à plusieurs programmes de recherche visant à démontrer l’intérêt sur le plan environnemental de la généralisation du courant continu dans les bâtiments tertiaires alimentés par des panneaux photovoltaïques.  Cette approche est une source d’innovations potentielles susceptibles, à moyen terme, de réduire encore la consommation de cuivre mais aussi l’impact carbone.

 

Matthieu Evrard, Directeur Marketing

ACOME _ Building City & Transportation Business Unit